J’ai terminé, il y a quelques jours, la relecture du premier tome du roman de Maurice Druon, « les grandes familles », prix Goncourt 1948.
Maurice Druon, né en 1918, est issu d’une famille de la moyenne bourgeoisie. Cette précision me semble utile car la lecture de son roman pourrait laisser croire qu’il est un un jeune romancier, soit en rupture de ban avec sa famille et sa société d’origine, soit un militant révolutionnaire.
Pourtant, il n’en est rien. De la Résistance aux côtés de Joseph Kessel, son oncle, au mondes politique et littéraire, il a toujours été un homme de droite, revendiqué et assumé.
Dans le roman, la mise en scène et la description de quasiment tous les personnages sont d’une cruauté et d’une précision sans égal.
C’est aussi la peinture réaliste de cette société bourgeoise, se voulant aristocratique, attachée à ses privilèges et aux honneurs qui s’y rattachent.
Deux familles sont les personnages principaux du roman: les de la Monnerie, les Schoudler, militaires, poètes, rentiers, industriels, banquiers, persuadés de leur supériorité morale et sociale. Toutes et tous héritiers d’une noblesse vieillissante, décatie, engoncée dans des croyances religieuses absolues et dépassées, fermée à la moindre évolution sociétale.
S’y rattachent différents personnages, courtisans, arrivistes, parasites.
Un monde, une société où l’hypocrisie le dispute à l’égoïsme.
La bourgeoisie financière et industrielle est apparue sous le règne de Louis Philippe et a vraiment pris son essor sous Napoléon III et la 3ème République. Elle a accompagné et organisé les révolutions industrielles du 19ème siècle, à son profit exclusif, encouragée en cela par les autorités politiques, y compris républicaines.
Elle a mis au pouvoir son idéologie libérale, ses hommes, ses méthodes, ses influences. Elle a bâtit d’immenses fortunes en exploitant sans vergogne des millions de gens, le plus souvent des paysans ayant fui la misère, payant des salaires de misère à tous ces travailleurs, y compris des enfants.
Ils n’avaient d’autre but que de s’enrichir, encore et encore, sans limites et sans scrupules.
Jusqu’à refuser la moindre concession sur les salaires ou les conditions de travail. Il fallait travailler, toujours travailler et toujours pour des salaires qui permettaient à peine de vivre décemment.
Les crises économiques ont entrainé un chômage de masse, des baisses de salaires. Le front uni des dirigeants d’entreprises refuse de négocier. Alors, un peu partout en Europe des grèves éclatent, se transformant parfois en émeutes où des ouvriers sont tués.
Les dirigeants politiques votent alors des lois: interdiction du travail des enfants de moins de 8 ans; limitation de la durée du travail journalier et de nuit pour les femmes; mise en place d’un système de retraite; amélioration des conditions de travail. Avec d’autres lois qui, bien qu’insuffisantes, améliore la vie des ouvriers.
Les propriétaires et actionnaires d’entreprises auront été systématiquement vent debout contre ces nouvelles lois: de la perte de la compétitivité des entreprises aux coûts générés par ces lois en passant par une fiscalité trop lourde et un chantage au chômage, ils auront fait feu de tout bois.
Ils se disaient créateurs de richesse, preneurs de risques et seuls porteurs des vérités économiques et donc, donner au monde du travail de meilleures conditions de vie allait entrainer un esprit de relâchement, allait faire perdre le sens du travail lui-même et habituer les gens à la fainéantise et à tout attendre de la société.
Mais souvent, la réalité est plus crue, plus brutale: en réalité, ils ne voulaient pas partager! D’ailleurs, ne traitaient-ils pas les syndicalistes de « partageux »? De socialistes?
Le moindre centime que la loi pouvait ôter de leur capital et de leur patrimoine était considéré comme une agression insupportable!. À travers leurs organes de presse, leurs nombreux groupes de pression au Parlement, ils se répandaient en plaintes et en menaces…
L’égoïsme, comme vertu cardinale.
De nos jours, quoiqu’on en dise, la situation économique française – mais pas qu’elle – fait que les pauvres sont de plus en plus pauvres; que les riches sont de plus en plus riches. La population composant la classe moyenne se trouve de moins en moins à l’aise dans ses revenus puisqu’elle aurait tendance à s’appauvrir plutôt qu’à s’enrichir.
C’est avant la fin de l’année en cours que gouvernement et Parlement doivent décider du futur budget 2026 où, en principe, seront votées les dépenses et les recettes.
Je ne rentrerai pas ici dans le détail des unes et des autres.
Pour faire court, un budget se doit d’être voté.
Au Parlement, les débats font rage comme c’est la règle dans une Démocratie, même si souvent, les parlementaires oublient qu’ils ne sont pas sur un terrain de jeux.
Parmi tous les projets soumis aux débats, il a été proposé de taxer par un pourcentage modeste les très hauts patrimoines et encore pas dans leur intégralité. Ce qui n’aurait certainement pas entrainé leurs bénéficiaires dans la ruine ou la précarité.
Il faut croire que si, du moins à entendre et lire les cris d’orfraie que n’ont pas hésité à pousser, avec véhémence et agressivité, ces malheureux contribuables, soutenus par une partie de la classe politique qui, elle, voyait ces braves gens fuir la France et le chômage exploser dans des proportions hallucinantes.
Et, j’ai retrouvé dans les attitudes des protestataires les mêmes postures, la même morgue, les mêmes certitudes de leur supériorité que celles des personnages du roman de Maurice Druon. Mais aussi la même sècheresse de coeur. Et le même égoïsme.
Il me semble que Druon pourrait, aujourd’hui, écrire le même roman, avec les mêmes personnages. Parce que ces personnages existent toujours, avec cet égoïsme qui leur tient lieu d’existence et de raison de vivre.
En attendant d’être la personne la plus riche du cimetière.
Laisser un commentaire